[Terminé] Est Solitaire celui qui ne se Soucis que des Autres [Eléazar/Zelfyne]

Au fil des jours, le soleil prenait de plus en plus de temps pour se coucher en plus de se lever chaque matin de plus en plus tôt. Les journées étaient encore fraîches en ce début de printemps mais les fleurs commençaient peu à peu à apparaître et à l'aube, on pouvait déjà voir scintiller la rosée du matin. Les insectes étaient de nouveau de sortie et les oiseaux chantaient à toute heure de la journée. Le silence ne revint qu'au crépuscule, quand l'astre de lumière ne se distinguait plus que par un halo orangé qui enflammait les cieux depuis l'horizon de l'océan sur lequel s'illuminait des reflets d'or. Aux sommets des Monts Kresh, le Panlaüd, dans toute sa splendeur, baignait dans la sérénité, ses toits et ses murs de l'Aile Ouest caressés par les derniers rayons de lumière. Les Gardiens vaquaient à leurs occupations. Certains revenaient de chasse, avec des prises plus ou moins grosses selon à qui elles étaient destinées. D'autres venaient d'achever leur travail du potager pour les futures récoltes. Les plus jeunes recrues avaient leur temps libre et s'amusaient dans les jardins avec leurs Laüds respectifs et chahuteurs. Trop de bruit peut-être pour ce vieil Arlaüd posté sur une corniche, qui désespérait de ce fait de pouvoir méditer tranquillement au-dessus du vide.

Àsmundr et Dementör revenaient d'une longue patrouille dans le royaume. L'immense créature au plumage bleuté se posa avec attention dans le Grand Jardin, sous le regard d'un petit groupe de jeunes Ars qui conversaient tranquillement des dernières nouvelles de la région. Ils s'apprêtaient même à rentrer pour éviter la fraîcheur du soir qui commençait à s'élever au fur et à mesure du déclin du jour. Àsmundr se laissa glisser à terre, se réceptionnant avec souplesse sur l'herbe courte du jardin qui avaient reprit sa pousse après le gel de l'hiver. La main du jeune Arlaüd glissa le long des longues plumes indigos de sa créature. Il laissa échapper un soupire. Il était exténué. Rien. Toujours aucune trace de ce Kartendarkor, Lùciores, dont la traque durait depuis plus d'un mois. Où était-il donc ? Les Gardiens étaient à ses trousses. L'armée d'Hetenlaüd était à ses trousses. Et personne ne parvenait à mettre la main dessus. Il était bien plus inquiétant de n'avoir aucune nouvelles de lui que l'inverse, surtout en connaissant ses intentions. Les Monts Kresh étaient constamment ratissés et de toute évidence, il ne s'y trouvait pas encore. Cette menace devait pourtant être arrêtée rapidement. Pour le livre, c'était une chose, mais il y avait aussi la vie d'Ermaëlle en jeu. Un détail qu'Àsmundr ne pouvait négliger. Dementör baissa son large bec à la hauteur du visage de l'homme. Ce dernier leva ses yeux noirs vers les prunelles ambrées de la bête.

- On finira par l'avoir, lui dit-il d'une voix assurée en Langue des Anciens.

Le Laüd ferma doucement les yeux, confirmant les dires de l'Arlaüd, avant de les rouvrir. Le jeune homme s'éloigna, sa longue chevelure ébène flottant derrière lui par une brise froide qui venait de se lever au dessus des montagnes. Dementör le suivit un moment du regard avant de s'avancer vers un point d'eau du jardin pour y boire, plongeant son bec dans l'eau pure avant de redresser la tête pour la laisser glisser dans sa gorge.

Soudain, le Laüd entendit du vacarme non loin de lui. Scrutant les alentours, il se rendit compte qu'il était seul pour le moment. Mais des grognements de ses semblables étaient toujours présents, et se rapprochaient même. C'est alors que Dementör leva son regard vers le ciel où il aperçu deux silhouettes de Laüds qui se battaient furieusement. Ils étaient plus jeunes que le Laüd bleu et pourquoi ils se chamaillaient aussi violemment, c'était encore une autre histoire. Au bout d'un moment, ils atterrirent brutalement sur le sol du jardin avant de continuer à s'attaquer à coup de bec et de griffes, faisant voler quelques plumes au passage. Ils n'avaient vraiment rien de mieux à faire ? Dementör émit un grondement mécontent avant de s'avancer vers le duo. L'un des deux était de couleur fauve et tigré de noir tel un tigre. Il en avait même la longue queue cernée d'anneaux noirs. Le second était de couleur plus unie, d'un gris foncé, presque noir, bien que plus clair au niveau du ventre.

*Shïn, pourquoi tant d'esbroufe ?!* clama le Laüd de lui en poussant un rugissement à l'encontre du tigré, plaquant sa patte griffue sur sa tête pour le stopper dans son élan.

*Mêle-toi de tes affaires Dementör !* rugit l'autre avant de forcer le mouvement et se libérer de l'emprise du premier.

Mais Dementör ne se laissa pas faire et tenta de maintenir l'autre Laüd bloqué. Ce dernier s'énerva avant de repousser la créature bleue d'un coup de griffe et finalement bondir sur lui en guise de représailles. Le troisième Laüd, resté en retrait, préféra en profiter pour s'éclipser. Dementör et Shïn continuèrent de se battre férocement, tels deux chats sauvages qui ne se laissaient aucun répit. Les griffes entaillaient leur chair et des plumes s'en arrachaient. Ce ne fut seulement au bout d'un moment que Dementör parvint à prendre le dessus suffisamment pour faire capituler le second, qui abdiqua d'une posture courbée. Dementör souffla, colérique avant de s'ébrouer. Constatant l'étendue de ses blessures, comme celles de Shïn, il se détourna de lui et prit son envol.

Le Laüd plana jusqu'à l'Aile Ouest du Panlaüd. Il se réfugia assez rapidement dans l'enceinte des ruines, glissant le long des hauts couloirs qui les parcouraient. Les griffures sanglantes à moitié cachées dans son pelage le brûlaient. Petit à petit, il se rapprochait d'une zone sombre où on entendait l'eau couler. Passant à travers les lianes qui occupaient parfois les sorties de couloir, Dementör arriva au niveau du Lac Intérieur, où la petite cascade s'écoulait paisiblement. Il jeta un oeil à l'intérieur de cette pièce. Il n'y avait personne. C'était exactement ce qu'il recherchait. Pénétrant dans la salle, il alla se coucher finalement au bord du lac, sur un tapis de plantes semi-aquatique qui donnait à ce "lit" un aspect un peu visqueux et frais. Le Laüd entreprit par la suite de lisser ses plumes ensanglantées.

Dementör avait soigneusement fait attention à ne pas attirer l’attention sur lui. C’était une chose qu’il n’aimait jamais faire en général, mais plus encore lorsqu’il n’était pas au mieux de sa forme. Lorsqu’il s’était déplacé dans les dédales des ruines, il avait pris soin à n’emprunter que des passages non occupé par ses semblables, histoire d’en croiser le moins possible. Le Laüd était de toute façon assez reconnu pour son tempérament solitaire pour que les autres ne s’attardent pas trop sur son cas. Aussi, personne ne fit attention à lui, et personne ne remarqua qu’il était blessé. L’eau coulant de la petite cascade jusqu’au lac faisait un peu d’écho entre ces murs de pierre couvert de végétation. C’était là le seul son des lieux, et ça lui offrait une atmosphère apaisante.

Le Laüd indigo avait continué un moment à nettoyer son plumage avant qu’une présence ne se fasse rapidement sentir. Quelqu’un approchait. Un autre Laüd, il le savait. L’odeur de l’humidité pouvait un peu perturber ses sens, mais plus son congénère approchait, plus son odeur à lui était de plus en plus identifiable. Finalement, apercevant la silhouette de la créature dans l’ouverture de la pièce, Dementör n’eut aucun mal à reconnaître Zelfyne, la Laüd de l’Ar Eléazar. Dementör n’était pas franchement enchanté de cette compagnie, mais ce n’était pas contre elle. Tout autre Laüd, ou même humain, arrivant ici lui aurait déplu. Il aurait pouvoir être un peu seul un peu plus longtemps. Mais il ne pouvait pas non plus interdire l’accès au lac aux autres. Chacun était libre d’aller où bon lui semblait. Il se contenta alors de lui adresser un regard.

*Bonsoir* répondit-il à la jeune femelle, *fais donc.*

Si elle ne faisait que passer, alors peut-être que ça présence n’était pas si grave que ça. D’ici quelques secondes, si ce n’est plus, la Laüd serait déjà repartie. Dementör l’observa alors du coin de l’œil tandis qu’elle s’était approché du lac pour s’y abreuver comme convenu. Pour le moment, le mâle avait cessé sa toilette, histoire de ne pas attirer l’attention sur ses plaies. Il espérait même qu’elles n’étaient pas trop visibles. Il comptait sur la pénombre des lieux pour cela, ce qui aurait sans nul doute trompé aisément un humain. Mais la vision des Laüds étant très décuplée, il ne fallait pas faire beaucoup d’effort pour repérer le rouge mêlé au bleu de son plumage.

Le regard ambré du Laüd s’attardait sur sa congénère. Dans un sens, il préférait tout de même que ce soit Zelfyne qui soit tombé sur lui plutôt qu’un autre. Il y avait en ces lieux des Laüds bien plus curieux et exaspérants qu’elle qui auraient attisé sa colère très rapidement par leur quête absolue de réponse en voyant l’un des leurs blessés. Ce qui était, certes, attentionné de leur part, mais loin de convenir au caractère plus rustre du mâle bleu. Il pouvait aussi se réjouir de ne pas voir débarquer une bande de jeunes en quête de jeu. Mais d’un autre côté, il aurait été plus facile de les faire déguerpir ceux-là. Dementör avait tendance à impressionner facilement les jeunes générations.

Zelfyne et Dementör avaient déjà eu l’occasion de converser ensemble, de faire des missions ensembles. Mais même ainsi, il était assez difficile de se lier au Laüd indigo car il partageait bon nombre de point commun de caractère avec son Arlaüd, majoritairement cette attitude réservée. Et comme pour son humain, ce n’était pas par méchanceté, loin de là. Sa manière de tenir ses distances était ce qu’il avait toujours jugé de mieux pour être digne de son rang et protéger ses semblables. Ne Pas se laisser envahir par ses émotions, tels avaient été les mots d’ordre de ce duo solitaire. De ce fait, ils faisaient toujours un travail admirable. Mais ils offraient en sacrifice leurs relations avec autrui pour cela. On ne pouvait pas dire qu’ils étaient malheureux pour autant. Mais étaient-ils heureux ?

L’Ar de Zelfyne était extrêmement différent. Il avait emprunté l’autre voie. Il gardait beaucoup de contact avec tout le monde et respirait la joie de vivre ancrée sur son visage à toute heure de la journée. Lui était heureux et sa Laüd devait l’être sans nul doute. Cela ne faisait pas d’eux de mauvais éléments au Panlaüd cela dit. Ils étaient même la preuve que l’on pouvait combiner le devoir avec les sentiments. Après, on ne pouvait pas non plus de se permettre de comparer des caractères si différent entre eux et le duo que formaient Dementör et Àsmundr.

*De quoi je me mêle ?* répliqua le grand mâle, *me crois-tu donc incapable de m’occuper de moi-même ?*

Bien qu’il n’avait pas élevé la voix au point de s’exclamer sur la jeune femelle, Dementör n’en avait pas moins mit autant de frustration à lui adresser ses mots. S’il y avait bien une chose qu’il n’appréciait guère était que l’on remette en doute son jugement, surtout lorsque cela portait sur lui-même. En tout cas, pour ce qui était de cacher les plaies, c’était visiblement perdu, mais il s’en était un peu douté malgré tout.

Dementör n’avait pas été très aimable envers sa congénère, ça s’était sûr. La remarque de Zelfyne était plutôt mal passée sur lui. Le pensait-elle incapable de gérer sa propre situation ? Non, elle s’inquiétait simplement. Mais Dementör était trop mal à l’aise en ce moment pour voir le bon côté de ses paroles. Il avait réagi au quart de tour et à vrai dire, ça le surprenait un peu également. Il avait toujours été un Laüd calme et raisonnable. Un Laüd d’Arlaüd qui se devait de montrer l’exemple. S’exclamer comme il venait de le faire envers sa congénère était loin d’être digne de ce qu’il voulait être. Il s’en rendit rapidement compte. Ce fut la raison pour laquelle ses yeux ambrés de rapace se posèrent sur l’eau calme du lac au moment où les prunelles de sa jeune congénère revinrent sur lui. Celle-ci devina avec une facilité déconcertante ce qui avait bien pu amener le Laüd bleu à se retrouver dans un état pareil. Son regard revint un instant à elle, sur la question qui avait conclu ses paroles. Pas la première fois ? Il était vrai que le mâle avait toujours été de nature solitaire. Mais il ne rechignait pas à partager le Nid avec les autres de son espèce. Il se devait même d’être toujours présent pour eux en cas de besoin. Mais il était vrai aussi que dès qu’il se sentait plus faible que d’ordinaire, il agissait comme tout animal agissait dans ces cas-là : il s’isolait.

La Laüd ne s’attarda pas plus longtemps. Elle salua brièvement son congénère avant de reprendre sa route pour quitter la pénombre des lieux qui s’imposait de plus en plus au fur à et mesure de la fin du jour. Dementör n’avait effectivement que peu de temps pour espérer que ses plaies ne soient pas trop visibles avant le lendemain. Ca allait probablement jaser parmi les autres Laüds, mais bon, les rumeurs n’étaient rien d’autres que des rumeurs n’est-ce pas ? Et sans aucun doute qu’Àsmundr se posera bien des questions à son tour. Toutefois, le Laüd saura lui faire comprendre qu’il ne souhaiterait pas aborder le sujet. Cependant, l’Arlaüd risquait fort de s’inquiéter de son état, ce que Dementör ne souhaitait pas. Il allait devoir rester discret et évidemment éviter d’ébruiter le fait qu’il était ainsi parce qu’il avait osé se battre avec l’un des siens. Pour donner de l’importance à ses paroles, Dementör se redressa péniblement sur ses pattes, faisant perler quelques gouttes de sang sur les algues sur lesquelles il s’était couché.

*Shïn et Tamerîs*, finit-il par dire, *ils ont sûrement besoin de plus de soins que moi. Puisque tu retournes au Nid, pourrais-tu t’assurer…Qu’ils vont bien ?*

Shïn avait probablement eu ce qu’il méritait. Mais Dementör l’avait violemment remit à sa place et il espérait ne pas y avoir été trop fort. Quand au jeune Tamerîs, Shïn l’avait plutôt bien arrangé également et qui sait si ces deux jeunots avaient su, contrairement à lui, mettre leur ego de côté pour demander des soins à leurs Ars respectifs.

Dementör savait qu'il se remettrait de ses blessures. Il avait probablement connu bien pire dans sa vie pour se soucier de plaies causé par un congénère plus jeune que lui. Il avait affronté des batailles, des guerres. Ce n'était pas quelques coups de becs et de griffes qui allaient avoir raison de lui. Il ne regrettait pas de s'être interposé entre les deux jeunes Laüds pour les séparer, car eux étaient plus jeunes, moins expérimenté et sans doute moins résistant que lui pour gâcher leur vie à se battre de la sorte. Tout le monde vivait ensemble dans le temple. C'était important que les querelles de ce genre soient évités le plus possible. Les aînés étaient là pour remettre les jeunes à leur place quand ça tournait mal. Tous les jeunes ne pouvaient pas acquérir dès lors la sagesse, même si c'était le cas de certains. Dès qu'ils entraient dans leur adolescence, ils se croyaient toujours les plus forts et les plus malins. Dementör savait de quoi il parlait. Il était passé par cette phase il y a quelques années après tout. Même son Arlaüd, à l'époque encore Ar, avait vécu une adolescence plus sereine que la sienne. Dementör en venait à se dire que c'était plutôt le caractère de l'homme qui avait ainsi déteint sur lui au fil du temps.

Le Laüd discerna l'étonnement dans le regard de sa congénère. Pourquoi tant de surprise ? Il s'était toujours inquiété pour les siens après tout. Même s'il n'avait pas le caractère le plus appréciable du temple, il n'en restait pas moins un individu très loyal et protecteur. Il avait causé du tort à l'un de ces jeunes et c'était normal qu'il se tienne au courant de son état de santé après ça. Il ne voulait pas que, par sa faute, quelque chose de grave soit arrivé à Shïn -même si ce dernier l'avait clairement cherché- Quoi qu'il en soit, la Laüd accepta avant de quitter les lieux. Dementör n'avait fait qu'hocher la tête à sa remarque. Quand Zelfyne disparu du champ de vision du grand mâle bleu, ce dernier se détourna de la direction où elle était parti pour se recoucher et reprendre ainsi son lissage de plume et son entretient de ses plaies, nettoyant le sang qui s'en échappait, retirant à coup de bec les chairs déchirées, tout en finesse. Les Laüds aussi apprenaient plus ou moins à s'occuper d'eux-même, quand ils n'avaient pas forcément la possibilité de demander de l'aide pour cela.

La lumière de la chandelle était désormais la seule qui persistait dans cette pièce obscure alors que la nuit s'était imposée au dehors. La petite flamme se dandinait paresseusement sur sa tige, se penchant de temps en temps lorsque Àsmundr tournait une page de l'ouvrage. Toujours le même ouvrage, celui qu'Ermaëlle lui avait confié. A ses côtés, sur son bureau se dressaient d'autres livres, dont un sur la langue Vitenëulienne qu'il avait repéré dans le recueil. Elle était même plus utilisée que la Langue des Anciens. Aussi ce livre était sans nul doute originaire de Vitenëul, mais pour une obscure raison, il s'était retrouvé à Kartendark. Malheureusement, de ce qu'il en avait trouvé et décrypter pour le moment, les écrits ne lui apprenaient pas grand chose. Le plus mystérieux restant que la majorité du livre était écrit dans une langue qu'il ne connaissait pas malgré ses recherches. Ce n'était pas un dialecte de Laïos, ni de Kartendark, ni de toute autre contrée dont il avait pu dénicher les langues dans des livres. Il n'avait trouvé aucun dictionnaire concernant ce curieux langage. Même la Langue des Anciens était plus recensé dans les bibliothèques.

Soudain, les réflexions du jeune Arlaüd furent interrompu par des coups à la porte de sa chambre. C'était assez rare que l'on vienne le quérir à une heure pareille mais soit. Il y avait probablement une urgence qui puisse amené à ça. L'homme referma donc l'ouvrage avant de le ranger dans un des tiroirs de son bureau. Après quoi il se leva de sa chaise, récupérant son bougeoir, et se dirigea d'un pas assuré vers la porte qu'il ouvrit sur l'instant. Dans l'ouverture et la lueur de la flamme se dessina le visage familier d'Eléazar. Encore un détail auquel l'Arlaüd ne s'attendait décidément pas. Qui plus est, il savait que l'Ar ne serait décidément pas venu le chercher si la situation ne l'exigeait pas expressément.

- Eléazar ? fit l'homme, que se passe t-il ?

Àsmundr avait toujours Eléazar en grande estime et il savait pertinemment que ce dernier ne frapperait pas à cette porte s’il ne jugeait pas que la raison en valait vraiment le coup. Et quand bien même se serait pour une futilité, l’Arlaüd avait assez confiance en l’Ar pour ne pas lui faire le moindre reproche sous prétexte que ce dernier était venu quérir quelque chose auprès de lui. Eléazar avait beau être connu pour sa joie de vivre incommensurable, il était loin d’être semblable à d’éventuels adolescents plaisantins qui, eux, n’auraient pas intérêt à déranger un Arlaüd pour rien. Bien évidemment, l’Ar se hâta de s’excuser avant d’expliquer précisément les raisons de sa venue à son supérieur. Ce dernier décelait aisément l’inquiétude qui semblait rongé le jeune homme et s’en interrogea intérieurement de mille et une façon, non sans lâcher une miette de la suite que lui annonça l’homme aux yeux verts.

Dementör, blessé ? Ce devait être effectivement grave pour qu’on se permettre d’y apporter la moindre attention car Àsmundr se doutait bien que si ce n’était que quelques écorchures, ça n’aurait probablement pas inquiété plus que ça la Laüd d’Eléazar. Ce qui l’étonnait en revanche, c’était de ne pas avoir encore eu vent d’une telle bagarre si celle-ci c’était montré si rude que son Laüd en ait ainsi subi les conséquences. Eléazar proposa de conduire directement l’Arlaüd jusqu’à la créature blessée. Pour Àsmundr, ça lui paraissait évident qu’il devait y aller, ne serait-ce que pour juger lui-même de l’état de son compagnon. Mais d’un autre côté, il connaissait fort bien le caractère de la bête. S’il n’était pas venu le voir, c’était soit qu’il ne l’avait pas voulu, soit qu’il ne l’avait pas pu. Difficile à dire pour le moment, mais l’Arlaüd se devait de s’en assurer par lui-même. Prendre soin de son Laüd était dans les responsabilités de chaque humains vivant au temple.

- Bien, répondit l’Arlaüd, merci de m’avoir prévenu Eléazar. Je vais aller le voir et j’accepte volontiers votre proposition.

Ca sera plus rapide ainsi. En un battement d’aile de la Laüd, ils seraient arrivés. Àsmundr retourna à l’intérieur de sa chambre pour poser sa chandelle et prendre un kit de soin qu’il veillait à avoir à porter de main dans une sacoche. C’était même un indispensable lorsqu’on partait loin dans le royaume avec sa monture. N’importe quoi pouvait arriver, même à une créature pareille. Il y avait des Ars et Arlaüds au Panlaüd plus spécialisés que d’autres en matière de la médecine, comme Alyanne notamment, et qui savaient gérer les réserves de médicaments et de plantes médicinales pour tout le monde. Àsmundr revint rapidement auprès d’Eléazar, prêt, et s’interrogeant néanmoins sur le comportement de Dementör. Il était peut-être pas très sociable, mais de là à se battre…

Àsmundr tenait énormément à Dementör, mais l’homme était bien moins expressif contrairement à Eléazar, quitte à ne pas s’inquiéter peut-être autant que lui l’aurait fait si c’était Zelfyne qui avait un souci. D’un autre côté, la Laüd était tout de même plus fragile que son congénère bleu, et son Ar était émotionnellement moins stable que son supérieur. Qui plus est, l’Arlaüd avait probablement tendance à trop surestimer sa monture, la jugeant assez dégourdi pour savoir quand quérir de l’aide et quand garder son mal en patience en se débrouillant seul. Il n’avait pas forcément en tête l’image d’un Laüd aussi boudeur et honteux que ne le serait un adolescent. Apparemment, il avait tort. Ou alors Zelfyne surchargeait vraiment trop la situation. Peu importait le fin mot de l’histoire finalement, car l’homme avait de toute manière prit la décision d’aller aux nouvelles de son Laüd malgré tout. Les deux étaient puissamment liés et Àsmundr savait qu’il pouvait faire entendre raison à la créature.

Àsmundr n’avait jamais volé sur le dos d’un Laüd qui n’était pas le sien. Aussi était-il effectivement ignorant du vol de la créature d’Eléazar car le vol stable de Dementör était ce qu’il avait toujours connu. Toutefois, l’Arlaüd connaissait bien le handicap de la femelle et se doutait qu’il allait devoir faire plus attention que d’ordinaire, afin de ne pas se laisser surprendre par son vol instable. Tout le monde désormais au temple était au courant de ce dernier concernant la Laüd, mise à part les plus jeunes recrues probablement. L’homme laissa Eléazar passer sur le dos de sa compagne à plume avant de l’imiter. Bien qu’il était grand homme, Àsmundr était svelte et pas particulièrement lourd. Rien à côté d’Eléazar, encore plus grand et plus musclé dont Zelfyne avait l’habitude en poids. Ce dernier mit l’Arlaüd en garde concernant le vol de la Laüd qui risquerait d’être différent de ce dont Àsmundr avait l’habitude.

- N’ayez crainte pour ça, répondit l’homme.

Il n’était pas né le Laüd qui ferait Àsmundr de son perchoir ! L’homme comptait bien rester digne d’un Arlaüd capable de chevaucher n’importe laquelle de ces créatures. Aussi devra-t-il grandement s’adapter durant le court temps de vol qu’il ferait sur Zelfyne. C’était une des lois des Ars après tout : ne jamais cesser d’apprendre. Voici donc une nouvelle expérience qui ne pourra être que bénéfique, même pour un Arlaüd accompli. Les deux hommes aussitôt en place sur son dos, la femelle décolla. Dès lors, Àsmundr s’était fixé l’idée de se concentrer sur ses mouvements, pour s’allier à eux et réapprendre à voler avec elle comme un jeune élève. Effectivement, le départ paraissait maladroit, incontrôlé, alors que dans l’esprit de la Laüd, ce n’était pas du tout le cas. Quoi qu’il en soit, l’Arlaüd tint bon, et sans trop de difficulté finalement, car rapidement, le vol de l’animal se stabilisa finalement.

En bien peu de temps, le trio arriva à destination, du côté de l’endroit où l’homme savait que se trouvait le Lac Intérieur. C’était donc là que Dementör s’était réfugié pour cacher sa douleur ? En soi, Àsmundr espérait que ce soit Zelfyne qui ait trop dramatisé, car ça lui restait préférable au fait que son Laüd était gravement blessé. Après un atterrissage agité, c’est avec souplesse et facilité que l’Arlaüd descendit de la Laüd. Celle-ci étant plus petite que Dementör, le geste ne demandait pas d’effort nouveau pour un homme habitué à chevaucher plus grand. A l’arrivée, Àsmundr nota le comportement d’Eléazar vis-à-vis de sa Laüd. Il était bon de voir un Ar aussi attentif aux besoins de sa monture. Eléazar était peut-être même le seul à faire ça en raison du handicap de sa Laüd. Après quoi, cette dernière conduisit les deux hommes vers l’entrée en ruine d’un des édifices de cette partie du temple, qui menait donc au Lac Intérieur. Mais la créature d’Eléazar s’arrêta devant l’ouverture, faisant stopper les deux hommes également. Àsmundr tourna un regard interrogateur aux deux comparses.

- Je vous remercie Eléazar, mais je crois avoir assez abusé de votre temps. C’est déjà bien honorable de votre part de m’avoir conduit ici. Mais je ne veux pas accaparer votre temps plus que nécessaire. Vous pouvez y aller si vous le désirez. Il est possible que tout ceci prenne…Un peu de temps.

Après tout, il faudra que Dementör s’explique avec lui et surtout qu’il veuille bien accepter les soins que l’Arlaüd lui proposerait. Ce n’était peut-être pas une si mauvaise idée que Eléazar et Zelfyne ne viennent pas avec lui. Les choses seront plus simples ainsi. Et Àsmundr savait qu’il pourra gérer l’humeur de son compagnon à plumes. Il ignorait cependant combien de temps cela prendra et Eléazar n’avait pas à attendre ici que les choses se passent. Il avait probablement une meilleure manière d’occuper son temps. Disons que lui et Zelfyne avait déjà offert leur aide. Il n’y avait plus grand-chose qu’ils pouvaient faire désormais car tout reposerait sur l’Arlaüd. Il serait aussi fort possible que ce dernier demande à Dementör de ne pas tenir rigueur à Zelfyne d’être venue parler de son cas à lui. C’était certain que le Laüd lui en sera rancunier pour ça, alors qu’elle avait eu bien fait d’agir ainsi, sans nul doute. Quoi qu’il en soit, après avoir remercié Eléazar et sa monture, Àsmundr s’enfonça alors dans la pénombre de l’entrée de pierre qui s’enfonçait dans un sombre tunnel, retrouver son Laüd au abord du Lac Intérieur.