Retrouvaille d'un vieux souvenir (PV Hyline)

Encore une belle journée d’hiver qui s’annonçait pour aujourd’hui. Hyline n’était pas mécontent e de retrouver le soleil au milieu de ce ciel bleu, même si cela ne changeait en rien à l’air froid de la saison qui avait poussé la jeune femme de sortie à revêtir une cape de laine sur ses épaules. Elle revenait du marché, sur la place centrale du village. Elle avait hâte de retourner chez elle, aux alentours des limites de Mëkir, se mettre au chaud et manger un bon bouillon de mouton qui lui réchaufferait tout le corps. Portant son panier au bras, elle longeait une avenue en saluant les villageois qu’elle croisait sur son chemin. La vie au village était encore belle et paisible. Le climat au bord de la mer repoussait de son mieux les assauts de l’hiver et la maladie qui contaminait le reste du royaume n’avait pas encore atteint les portes de Mëkir. Hyline ne savait pas si les gens ne s’en souciaient pas plus que ça, ou s’ils faisaient seulement semblant pour ne pas sombrer dans la panique.

Le soleil était déjà haut dans le ciel. Il était dans les alentours de midi et même s’il ne chauffait rien de l’atmosphère, il était toujours le bienvenu. En ce milieu de mois, on se disait surtout que bientôt le printemps ne tardera pas. Il sera temps de retirer les bâches qui protégeaient les cultures et de reprendre le travail de la terre. Même si Hyline avait toujours préféré la chaleur, elle n’avait rien contre l’hiver. Il fallait bien que la terre se repose un peu elle aussi. Un bon hiver était excellant pour les cultures. Aujourd’hui au marché, elle avait récupéré quelques produits importés des contrées plus chaudes –mais pas beaucoup car sa famille était loin de pouvoir énormément dépenser pour ça- Il y avait également un peu de viande, mais c’était le poisson qui prônait le plus sur les étale en ce moment. Lui au moins, on le trouvait en toute saison. Au fond, c’était juste pour compléter un peu le peu de récolte que son potager pouvait offrir en cette saison. Hyline ne le surmenait pas. Elle y avait planté juste de quoi avoir de quoi manger cet hiver, mais elle avait grande hâte de retrouver les fruits et les légumes d’été.

Au bout d’un moment, la jeune femme vit un peu plus loin une petite silhouette qui traînait au milieu de la rue. De dos, comme ça, impossible de reconnaître qui que ce soit, surtout après six ans séparé du Panlaüd. Aussi ne fit-elle pas allusion au moindre Ar pour le moment. D’ailleurs, elle se disait que cette personne avait sûrement une bonne raison de rêvasser en pleine avenue. La Mëkiror poursuivit son chemin, s’approchant petit à petit de l’homme en question. Petit à petit, elle se rendit compte que ce dernier avait les yeux rivés sur une lettre dans sa main. Mais aussi lorsqu’elle vit finalement son visage, après l’avoir dépassé, ce fut l’électrochoc. Elle connaissait ce visage.

- Osmond… ?

A vrai dire, Hyline était tellement surprise par la présence de l’Ar qu’elle ne remarqua même pas la lettre qu’il avait rangé précipitamment dans sa poche à son approche. Elle n’était pas la seule à se surprendre d’une telle rencontre, vu le son qu’avait laissé échapper le jeune homme en remarquant l’identité de la jeune femme. Son regard était fuyant, son attitude nerveuse. On aurait dit quelqu’un prit sur le fait alors qu’il commettait une faute. Pour sa part, on pouvait dire que la faute avait déjà été commise, il y a bien longtemps. Mais pour lui, ça semblait encore si frais, ou être revenu à la vie en la présence de la jeune femme. Le jeune Ar, mal à l’aise, bégaya une réponse au hasard. Ca pour faire longtemps, ça faisait longtemps. Combien ? Sept ans déjà. Pour Hyline aussi, son départ du Panlaüd restait aussi frais que si c’était la veille. Depuis ses retrouvailles avec Eléazar, elle savait qu’il ne serait jamais impossible pour elle de croiser d’anciens compagnons. Mais le sujet avec Osmond restait très délicat, même pour elle. A vrai dire, elle ne savait pas vraiment comment réagir face au jeune homme.

- En effet…répondit-elle simplement, bien qu’elle cherchait à cacher son mal-être.

La situation était tendue, cela pouvait se sentir à des kilomètres probablement. La jeune fille ne parvenait pas à détacher son regard du jeune homme qui lui, tout le contraire, faisait tout pour ne pas la regarder. Il fuyait. Il fuyait toujours, se disait Hyline. La dernière fois qu’ils s’étaient vus, il avait fui aussi, lâchement. C’était ce que faisait le mieux ce garçon apparemment. Hyline ne comptait pas fuir, elle. C’était sans doute pour cela qu’elle gardait ses yeux bruns braqués sur lui, face à face, alors que dans son esprit elle ne rêvait que d’une chose : se détourner et rentrer chez elle le plus rapidement possible, préférant éviter de renouer le passé avec cet individu. Est-ce qu’elle lui en voulait encore ? Même elle l’ignorait à vrai dire. Tant de temps s’était écoulé depuis le drame qui l’avait frappé et elle ne savait pas si elle pouvait encore blâmer l’Ar d’avoir préféré s’occuper de sa Laüd plutôt que de la sienne. Ca aurait été tellement plus simple si elle ne l’avait jamais revu. Comme ça, elle n’aurait jamais eu à se reposer ce genre de question. Au lieu de ça, elle avait l’impression d’être à la barre d’un procès, à choisir s’il était coupable ou non. Atroce sensation.

Le jeune homme lui posa une question bête. Ce qu’elle faisait ici ? Avait-il oublié qu’elle vivait là ? Que s’était là que les Gardiens étaient venus la prendre pour l’emmener avec eux ? Avait-il oublié que c’était là qu’elle avait dû retourner à la mort de Cièlã ? Pourquoi croyait-il qu’elle avait un panier avec elle transportant plusieurs denrées ? Elle n’eut rien besoin de répondre, quoi qu’elle s’était apprêtée à le faire, car l’homme se rendit rapidement compte de ce qu’il avait demandé et s’en excusa. Hyline détourna un moment le regard. La gêne de l’Ar était contagieuse. Hyline n’était pas le genre de personne capable d’en vouloir à quelqu’un qui ne lui cherchait pas les noises. Pourtant, elle ne pouvait pas rester indifférente auprès de lui après ce qui s’était passé il y a sept ans de cela.

- Je te retourne la question, finit-elle par dire en gardant ses prunelles déviées sur le côté.

Cette ambiance était des plus pesantes. Dire que pourtant, la journée était belle et avait bien commencé. Tout avait changé, tout avait été chamboulé par la simple présence d'une seule personne. Bien qu'Hyline aurait aimé que ces retrouvailles n'arrivent jamais, dans un sens, elle se disait qu'il faudrait bien un jour ou l'autre qu'ils s'affrontent. Non pas physiquement bien entendu, mais émotionnellement. Ces deux jeunes gens pouvaient-ils réellement resté enfermé dans ce blocage qu'il y avait entre eux depuis ce drame ? Voilà que sept ans s'étaient écoulés. Ne serait-il pas temps de passer à autre chose ? Toujours plus facile à dire qu'à faire, songeait la jeune femme. Elle n'était pas rancunière de nature, mais c'était plus fort qu'elle. Chaque fois qu'elle voyait le visage d'Osmond, elle revoyait ce funeste jour où il s'en était allé au moment où elle avait eu le plus besoin de lui.

Elle sortit de ces pensées au moment où le jeune homme se mit à lui répondre. Il lui parla de lettre qu'il était venu chercher ici, de sa grand-mère décédée, de sa mère marchande, et il se perdit dans les méandres de ses propres explications. Il s'en rendit compte d'ailleurs, et en fut bien honteux. Hyline avait reposé son regard sur lui alors qu'il parlait, avant qu'il ne s'arrête et qu'il ne reprenne dans une conclusion de quelques mots. Hyline, pendant un temps, se retrouva la gorge serrée en le voyant si égaré. Il était évident que cette rencontre, l'Ar aurait aimé l'éviter également. Pour ça au moins, les deux jeunes gens étaient d'accord. De plus, la jeune femme ne pouvait guère restée insensible à la raison qui avait amené le garçon en ces lieux. Cela ne devait pas être particulièrement joyeux de recevoir une vieille lettre d'une personne proche qui nous avait quitté. Hyline n'avait pas encore eu le malheur de connaître ce que cela faisait de perdre un parent, bien que ça ne devrait pas être très différent que ce qu'on vivait en perdant son Laüd. Quoi qu'il en soit, elle n'avait pas hâte de découvrir une nouvelle peine de ce genre.

- Je vois...Mes condoléances pour ta grand-mère, même si ça fait longtemps.

Elle déglutit, mal à l'aise. Que pouvait-elle dire de plus à...cet homme, après tout ? Elle jeta un bref regard autour d'elle, avant de se rendre compte à quel point ce nouveau silence était atroce. Finalement, elle se détourna du jeune homme pour reprendre son chemin, son panier toujours en main, étrangement peinée malgré tout de ne plus déjà l'avoir dans son champ de vision, son coeur et son esprit confus, en lâchant furtivement :

- Bon eh bien...Il vaut mieux que j'y aille.

Hyline se disait que malgré tout ce qui était arrivé, elle pourrait au moins faire un petit effort. Mais elle avait beau retourner la situation sans cesse dans son esprit, elle voyait mal comment procéder. C’était comme si le mal était encore trop proche, alors qu’elle savait pertinemment que ce n’était pas le cas et que sa conscience lui hurlait de passer à la suite, de tourner la page et de pardonner à ce malheureux Ar qui était désormais derrière elle. Ce n’était pas si facile. C’était facile de ne rien faire, de couper les ponts et de poursuivre sa vie en stagnant ainsi en trouvant un bonheur ailleurs. Mais il était très difficile de pardonner. Elle n’avait pas tourné la page, elle l’avait juste sauté pour passer au chapitre suivant sans savoir la fin du précédent. Comment finir correctement une histoire de cette manière ?

Bien que la jeune femme avait commencé à s’éloigner de l’homme à petit pas, elle avait tout de même permis une certaine distance de lui en pensant que là s’arrêtait ainsi leurs délicates retrouvailles. Mais la voix de son ancien camarade brisa soudainement le silence. Une fois toujours aussi mal assurée, mais qui arrêta la marche de Hyline. Cette dernière se tourna à nouveau vers Osmond. A vrai dire, la nouvelle demande de l’Ar étonna assez la jeune femme. Elle ne s’attendait pas du tout à ce qu’il lui demande une adresse pour se restaurer. Mëkir n’était pas spécialement grand comme village, mais c’était vrai qu’on n’y trouvait pas des auberges à tous les coins de rue comme dans une ville.

Si elle avait été garce, sans doute l’aurait-elle remballé, pour le laisser se débrouiller. Mais elle ne l’était pas. Loin de là. C’était même tout le contraire. Elle vit alors apparemment devant elle une opportunité de retourner à cette page qu’elle n’avait jamais voulu, parce qu’elle n’avait jamais voulu connaître la fin de ce chapitre de sa vie. Mais Osmond, tel un bon marque-page, venait de remplir inconsciemment ce rôle en lui donnant la chance de mettre quelques points sur quelques i. Hyline ne savait pas vraiment comment faire tourner les choses, ni si elle aurait le courage d’aller jusqu’au bout. Mais elle savait néanmoins une chose : elle pouvait toujours rester elle-même. Et elle-même n’était ni rancunière, ni odieuse. Elle se savait serviable et bienveillante. Cette curieuse bouderie qu’elle entretenait avec le jeune homme ne lui ressemblait pas. Mais elle hésita un moment. Et de ce moment perdura un silence qui lui permit de réfléchir un instant avec elle-même.

- Eh bien…Tu n’as qu’à passer à la maison, finit-elle par dire, je reviens justement du marché. Ca ne me dérange pas.

Elle prenait un peu sur elle. Mais elle s’en sentit obligé. Elle ne pouvait pas agir avec caprice et manquer à ses devoirs d’hospitalité. Osmond restait malgré tout un ancien camarade.