[Terminé] En quête d'un remède. [ PV Ásmundr Krönos, Ebao Kuza et Ermaëlle Fyrnam. ]

A la remarque d'Ebao, Ermaëlle se contenta de hausser les épaules, sans prononcer le moindre mot. Les esclaves n'avaient pas droit à une quelconque intimité. Leur maître, ou plus généralement son représentant, était toujours présent au moment des examens médicaux. Et que dire du moment où Maître Herzok sélectionnait les esclaves qui devait rejoindre son cheptel... La mise à nu était très fréquente. Même les enfants n'y échappaient pas. Il fallait s'assurer qu'aucun potentiel achat ne soit malade, afin d'éviter la contamination des esclaves sains. Cela permettait aussi de s'assurer qu'aucun n'était porteur d'une malformation qu'il pourrait transmettre à ses descendants ou qui l'empêcherait de travailler. Et Ermaëlle pouvait s'estimer heureuse que son premier Maître ne face cela que pour avoir l'assurance que son cheptel resterait en bonne forme. Certains nobles étaient bien moins délicats ou porté par des intentions bien différentes, aux dires de certains esclaves que l'enlumineuse avait eu l'occasion de croiser... A ces pensées, la jeune femme ne put retenir un frisson. Elle avait la désagréable impression d'être aussi démunie que ces esclaves au moment des inspections...

C'est donc la peau plus pâle encore qu'à l'accoutumée que l'ancienne esclave suivit le praticien. Et pourtant, à la capitale, cette pensée n'avait jamais réellement effleuré l'esprit de la jeune femme. D'un autre côté, Ermaëlle n'avait rendu visite à des médecins que pour aider Naïa. A aucun moment, il ne s'agissait d'aller quérir des soins pour elle-même... C'était là toute la différence, sans doute... En entrant dans la pièce où se trouvant le cabinet à proprement parlé, l'enlumineuse ne put s'empêcher de regarder tout ce qui se trouvait dans la pièce. Il n'y avait personne, sauf le praticien et elle.

Se dirigeant vers la table de soin, Ermaëlle s'y assit avant de retirer ses bottes. Plus tôt le praticien verrait ses jambes et plus tôt elle pourrait quitter les lieux. C'était là son seul réconfort. Ses bottes posées sur le fol, la jeune femme entreprit d'ôter les protections de cuir qui couvraient le bas de ses jambes. Vinrent ensuite les bandes de tissus, que l'ancienne esclave déroula avant de les poser délicatement à côté d'elle. Ce n'est qu'après ce dernier geste qu'il fut possible de voir réellement la peau de l'ancienne esclave. Couturées de vieilles cicatrices, couvertes d'ecchymoses, Ermaëlle avait presque l'impression d'être de retour à Karn... Il ne fallait pas croire qu'un fouet n'entaillait pas la chair. Certains étaient même conçus dans cet unique but. C'était à cause de l'un d'eux que l'enlumineuse avait récolté toutes ces cicatrices, bien qu'il arrivait à Maître Herzok d'employer de très fines lames dans d'autres cas...

« … Les cicatrices sont là depuis des années. Elles ont grandi avec moi. Les ecchymoses sont plus récentes... C'est à cause d'elles que je viens vous voir. Avec l'hiver, de vieilles douleurs se réveillent et ces marques n'arrangent en rien mon état. En temps normal, je prends certains remèdes, mais ces derniers se révèlent peu efficace, il faut l'avouer... » avoua Ermaëlle, le regard baissé.

Plongeant sa main dans sa sacoche, la jeune femme finit par en sortir un petit feuillet. Ermaëlle y avait inscrit les différents symptômes dont souffrait la mère de Naïa. L'ancienne esclave espérait que le praticien pourrait l'orienter vers des remèdes qui pourraient apaiser un tant soit peu les maux de la pauvre femme. Tendant le papier dans la direction du médecin, l'enlumineuse finit par dire :

« … Je ne suis pas ici que pour moi. J'ai quelques connaissances souffrantes dans mon entourage, et elles m'ont demandé de leur trouver quelques remèdes. Pourriez-vous me donner votre avis sur la question ? »

Ermaëlle espérait que ce prétexte serait suffisant pour éviter les questions du médecin. La jeune femme doutait qu'il fasse le rapprochement avec cette maladie pour le moins étrange qui avait eu raison du souverain de ce Royaume. Après tout, séparément, les symptômes pouvaient correspondre à d'autres maux. L'ancienne esclave doutait que le praticien possède un remède à cette maladie. Dans le cas contraire, le Roi n'y aurait pas succombé... Et si l'antidote avait été découvert entre-temps, les malades en auraient immédiatement été informés et en aurait consommé, afin de restreindre la possibilité d'une propagation plus importante de cet étrange mal...

Assit sur sa chaise, Ebao écoutait l'arlaud répondre à ses injonctions. Le fixant de ses yeux bleus, typiques du grand nord, le chevalier sembla réfléchir quelques secondes, avant d'enfin prendre la parole. Il fallait y mettre les formes.

- Je ne dis pas qu'un homme se promenant avec une femme est forcément en train de la courtiser, statua-t-il. Après tout, ce serait assez idiot de penser qu'Ebao avait des vues sur les femmes qu'il pouvait rencontrer... Vraiment idiot... Je dis seulement qu'un homme qui fait des centaines de kilomètres et bloque toute une journée pour une femme donne l'impression de la courtiser.

A côté de l'Arlaud, Méléandre tiqua et sembla soudain mal à l'aise. D'un air hésitant, il haussa les épaules en se tournant vers le gardien garni un demi sourire embarrassé. Il ne pouvait pas vraiment venir en aide à Sir Krönos sur ce sujet.

- Il faut admettre qu'il n'a pas tord... fit remarquer le marchand.

Lui-même, à l'époque où il courtisait Oléa Moberi, aurait retourné terre et ciel pour elle. Mais il ne l'aurait certainement pas fait pour une simple amie ou connaissance.

A la remarque de son beau-père, Ebao eu un haussement de sourcils, comme pour dire "Vous voyez ?" à Asmundr.

- Aussi, je faisais simplement part de mon inquiétude. Mais si vous m'affirmez que vous n'êtes pas intéressé par Ermaelle, tant mieux. Car même si vous semblez persuadé du contraire, vous ne possédez pas toutes ces qualités Sir Krönos. Un homme honnête admet ses erreurs, ne méprise pas en jugeant bon de faire passer ça pour de la maladresse et surtout, s'excuse quand il le doit.

Il croisa les bras, ne quittant pas du regard les yeux ébènes de l'arlaud et prenant soin de détacher chaque mots. Asmundr respirait le sentiment de supériorité, une conscience disproportionnée de sa propre importance et de la condescendance à tous les niveaux. Il devait surement penser qu'Ebao n'était qu'un crétin qui ne comprenait rien et qui se méprenait sur le grand homme qu'il avait l'immense honneur d'avoir devant lui.

- Vous me ferez surement la remarque que je suis rancunier et que je m'énerve vite, mais contrairement à vous, je n'ai pas la prétention de chercher à donner l'impression d'être parfait.

Méléandre eut un rictus et préféra éviter le regard de son beau-fils. Fallait-il vraiment faire la longue liste des défauts d'Ebao Kuza ? Quiconque doté de deux yeux et deux oreilles saurait rapidement les identifier... Mais de là à dire que Sir Krönos était parfait, il avait surement des défauts ! Comme tout le monde !

- Pour en revenir au cœur de notre sujet, il est de mon droit de ne pas vous apprécier et de considérer que notre première rencontre était trop emprunte de mépris pour que je puisse un jour vous penser humble et honnête. Au final, même si vous avez parfaitement raison en disant que le choix revient à Ermaelle, je cherche juste à vous faire savoir que vous n'êtes en rien le compagnon idéal pour elle.

Il venait tout juste de finir sa phrase quand il entendit la porte de la salle de soin s'ouvrir. Ermaelle en avait surement déjà fini avec le praticien. Ce fut rapide finalement, et cela signifiait que le calvaire était fini.

La liste de symptômes ne trompa pas le praticien. Aussi, quand l'homme découvrit la réelle raison de sa venue, Ermaëlle se contenta de hausser les épaules. A quoi bon cacher la vérité si cette dernière venait d'être découverte de la sorte ? L'ancienne esclave n'était pas obligée de parler de la mère de Naïa. Autant s'en tenir à la version de la connaissance atteinte de ce curieux mal. C'était sans doute mieux pour tout le monde...

« … Hélas, je ne peux pas vous donner tort. C'est la famille de cette pauvre personne qui m'envoie ici. Je sais bien qu'il n'y a encore aucun remède à ce curieux mal, mais si nous pouvons apaiser les souffrances de cette pauvre femme, cela serait déjà une grande victoire. » avoua Ermaëlle, sur un ton grave.

Même si les remèdes ne pouvaient qu'apaiser un temps les maux de la mère de Naïa, Ermaëlle en serait déjà très satisfaite. Cela lui laisserait le temps de trouver autre chose, ou permettrait aux médecins de trouver un antidote à ce mal, tout en laissant une chance de guérison à la pauvre femme. Il fallait à tout prix retarder l'échéance. Avec un peu de chance, cela suffirait et un remède serait trouvé à temps. L'ancienne esclave voulait croire à cette possibilité. Naïa avait déjà beaucoup perdu. Il n'était pas question qu'il porte également le deuil de sa mère...

Tandis que l'homme s'affairait pour rassembler divers remèdes, Ermaëlle l'écoutait avec la plus grande attention. Il fallait qu'elle se souvienne de tous ces détails au moment de faire sa lettre à Naïa, afin que les remèdes aient un effet sur sa mère. Quand le médecin revint dans sa direction, la jeune femme remarqua qu'il tenait un petit pot. La prescription du praticien n'était pas bien compliquée à suivre. Par la suite, l'homme lui présenta d'autres petits récipients. Des infusions, de quoi soulager la fièvre... Cela serait très utile, pas de doute. Au moment où l'homme posa sa question, l'enlumineuse releva la tête vers lui, afin de lui répondre.

« Ne vous inquiétez pas pour cela, ses proches sont très prudents à ce propos et veillent à ce que personne n'approche la malade de trop près. Il n'y a qu'une seule personne de malade pour le moment, et c'est déjà bien suffisant. » avoua l'enlumineuse.

Avec de nombreuses précautions, Ermaëlle rangea les différents remèdes dans sa sacoche. Puis, la jeune femme récupéra l'une des bandes de tissus, avant de l'enrouler autour de l'une de ses jambes. Après avoir répété l'opération une seconde fois, l'ancienne esclave noua ses jambières convenablement avant de remettre ses bottes. Puis, l'enlumineuse se redressa prudemment, craignant que ses appuis ne soient pas stables. Une fois sûre de son équilibre, Ermaëlle remercia le médecin pour le temps qu'il avait prit pour elle, et paya la somme qu'elle lui devait pour la consultation et les remèdes. Ensuite, l'ancienne esclave le salua, s'inclinant respectueusement, avant de quitter la pièce, non sans avoir remercié une dernière fois le praticien.

Quand Ermaëlle ouvrit la porte et se faufila dans le hall d'entrée, quelques mots lui parvinrent. En comprenant leur sens, l'ancienne esclave ne put masquer sa surprise. Ásmundr ?  Un compagnon ? Pour elle ? A cette pensée, la jeune femme sentit le sang lui monter aux joues. Était-ce sérieux ? Bien sûr, l'Arlaüd avait été très aimable avec elle, sans doute trop. Ermaëlle ne savait pas quoi penser de tout cela. Elle n'était qu'une esclave, ou une ancienne esclave, pas une noble Dame. Elle n'en avait que les manières, pas le sang. Il ne s'agirait là que d'une grande, et grave, mésalliance, c'était une certitude... Et quand bien même cela ne serait pas le cas. Elle restait une étrangère. Les hommes se mariaient rarement avec des femmes comme elle... L'enlumineuse chassa cette idée de son esprit. Il ne s'agissait peut-être que d'une simple remarque d'Ebao. Après tout, ce dernier semblait avoir une rancune des plus tenaces à l'égard de l'Arlaüd...

« … La situation est arrangée. Il n'est plus temps de parler de moi. » se contenta de dire Ermaëlle, en se rapprochant des trois hommes.

La jeune femme se contenta d'esquisser un sourire, masquant ainsi son mal-être. Et pourtant, ses joues encore rosées trahissaient toujours son récent trouble. Ermaëlle ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était préférable qu'elle oublie toute cette histoire. Il ne s'agissait sans doute que d'une remarque qu'Ebao avait lancé sans réellement réfléchir ou imaginer qu'elle ait pu l'entendre. Cela n'avait aucune importance. La mère de Naïa aurait accès à des remèdes qui lui permettraient de combattre la maladie le temps qu'un réel antidote soit trouvé. Et cette idée mettait du baume au cœur de l'enlumineuse. Il lui tardait d'écrire une lettre à Naïa et de lui envoyer tout ce qu'elle venait de se procurer.

Ebao eut un rictus en entendant Asmundr. Ne pas oublier qu'il s'agissait "d'impressions" ? En tout cas Ermaelle rougissait beaucoup et le chevalier pouvait voir qu'il y avait anguille sous roche. Cela ne lui plaisait vraiment pas... Peut-être que l'idée d'Ismelle n'était pas si mal finalement. En effet, pendant sa convalescence, son amie d'enfance était souvent venue lui rendre visite. Cela avait été l'occasion de boire une tisane et de discuter... Bon c'était surtout Ismelle qui venait raconter des ragots et évidemment Ebao n'était pas du tout intéressé (qu'allez vous imaginer ?), mais par politesse et parce que sa convalescence avait été particulièrement longue, il avait eu le respect de l'écouter de de parfois commenter ses dires...
L'un des sujets principaux avait été le mariage de ses deux meilleurs amis et Ebao savait qu'Ismelle avait prévu de profiter de l'occasion afin de trouver quelqu'un de bien pour l'ancienne esclave, surement un des chevaliers invités... Evidemment le jeune homme lui avait fait la remarque que ce n'était pas la meilleurs idée du monde (vraiment pas), et qu'il valait surement mieux laisser Ermaelle tranquille... Mais finalement, en voyant ainsi la rouquine s'empourprer devant l'homme le plus désagréable du monde, Ebao se promis d'apporter son soutient à Ismelle.

Il se leva de sa chaise et alla vers Ermaelle, lui proposant à nouveau son bras. Il avait eu une éducation assez pointilleuse sur la galanterie, sa mère y avait personnellement veillée.

- Je suis content que tu aies pu trouver ce qu'il te fallait. Que dirais-tu de nous accompagner au restaurant Méléandre et moi ? Et évidemment, tu pourras dormir dans une de nos chambres d'amis, ne te tracasse pas pour l'auberge.

Méléandre se contenta d'acquiescer et se tourna vers Asmundr avec un grand sourire.

- Vous êtes aussi invité vous savez ? dit alors le marchand faisant le choix délibérer d'ignorer la grimace de son fils, après tout, c'était un honneur d'héberger un Arlaüd, et Méléandre le savait parfaitement.

(Je pense que l'on approche de la fin ?)

Si Ermaëlle avait vécu auprès de la noblesse de Karn, il ne fallait pas oublier qu'elle avait connu le froid, et qu'elle y avait survécu pendant de nombreuses années. Le remède qu'elle venait de se procurer n'était qu'une garantie, un luxe dont elle aurait du se passer si ses moyens n'avaient pas été suffisants ou si les remèdes pour la mère de Naïa s'étaient révélés plus coûteux que prévu. La jeune femme se savait capable de passer un nouvel hiver sur ces terres bien plus clémentes que celles sur lesquelles elle avait vu le jour. Les entraînements auraient juste été plus durs à supporter, voilà tout...

« N'ayez aucune crainte à ce propos. Tout se passera pour le mieux. » répondit calmement la jeune femme, non sans un discret sourire, aux mots de l'Arlaüd.

Quand Ebao lui proposa son bras, Ermaëlle hésita quelques instants avant de glisser sa main dans le creux du coude du chevalier. La jeune femme, toujours troublée, était également quelque peu attristée. A Karn, il n'y avait guère que Tymor pour se comporter ainsi avec elle. Même libre, cela ne lui avait jamais posé de problème d'être vu avec une esclave. A cette époque, pour le futur soldat qu'il était, c'était comme si elle était déjà libre. Hélas, rien ne s'était passé comme prévu... Les deux jeunes gens s'étaient disputés, leurs liens s'étaient rompus, et l'enlumineuse n'avait plus qu'une pauvre lettre de cet homme qu'elle avait pourtant réellement aimé... Peut-être aurait-elle du accepter l'idée de Tymor, quand ce dernier lui avait proposé de l'aider à acheter sa liberté. Les choses auraient sans doute été bien différentes, à l'heure actuelle...

« Eh bien... Pourquoi pas ? Je ne peux refuser une telle proposition, je meurs de faim. avoua Ermaëlle, avec un sourire qu'elle voulait rassurant et sincère. Et si ma présence ne dérange pas ta famille, j'accepte volontiers de partager votre toit. C'est très aimable de ta part de m’accueillir. »

Méléandre ne sembla pas s'opposer à la décision de son beau-fils. Ermaëlle devait avouer que ce fait la rassurait. La jeune femme ne voulait pas avoir l'impression de s'imposer au sein du foyer d'une autre personne. Il aurait toujours été temps de partir en quête d'une auberge, si vraiment sa présence avait posé problème au père adoptif de son ami. D'un autre côté, si la Cité Pourpre était une ville des plus paisibles et des plus sûres, l'enlumineuse devait avouer que l'idée de chercher une auberge à cette heure-ci, alors que la nuit se faisait de plus en plus présente, n'était pas une situation des plus rassurantes. Mais l'ancienne esclave s'était quand même préparé à cette éventualité. Elle n'était pas désarmée, bien que l'utilisation d'une lame restait un exercice des plus complexes, et qui demandait la plus grande des concentrations à la jeune femme...

Quand Méléandre réitéra la proposition d'Ebao, mais à l'intention d'Ásmundr, Ermaëlle ne put s'empêcher de jeter un regard dans la direction de l'Arlaüd. La jeune femme ne savait pas si l'homme s'attarderait plus que nécessaire en ces lieux. D'un autre côté, l'ancienne esclave ne pouvait s'empêcher de penser qu'il serait sans doute plus prudent d'attendre la venue du jour pour quitter la ville, même si voyager par les airs était sans doute plus sûr que de faire de même mais par les chemins terrestres habituels...

( Oui, je pense aussi. ^^ )